Décision

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Gabarit EDJ

Droit de la famille — 20684

2020 QCCS 1549

 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT D’

ABITIBI

 

N° :

605-04-002674-107

 

 

 

DATE :

8 mai 2020

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE LISE BERGERON, j.c.s.

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K... A...

Demanderesse

 

c.

 

S... F...

Défendeur

 

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JUGEMENT

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[1]        Dans le contexte créé par la pandémie de Covid-19, les parties, à défaut d’être en mesure de convenir d’une décision commune pour le retour en classe de leur enfant X, soumettent leur différend au Tribunal.

Contexte

[2]        Les parties sont les parents de deux enfants : Y, 14 ans, qui fréquente l’école secondaire, et X, 12 ans, actuellement en 6e année du primaire.

[3]        Séparées, elles exercent une garde partagée à raison d’une semaine, une semaine avec échange le vendredi.

[4]        Le gouvernement du Québec a décrété qu’à partir du 11 mai 2020, il y aurait une réouverture progressive des établissements préscolaires et primaires dans l’ensemble des régions du Québec, à l’exception de ceux du territoire de la communauté métropolitaine de Montréal, qui ouvriront le 25 mai prochain.

[5]        Toutefois, ce retour en classe n’est pas obligatoire et ainsi, fait appel à une décision des parents.

[6]        Cette décision découle de l’autorité parentale que doivent exercer les parents à l’égard de leurs enfants.

[7]        Lorsque des parents n’arrivent pas à s’entendre dans l’exercice de cette autorité, ils soumettent la difficulté au Tribunal[1].

●     ●     ●

[8]        Pour sa part, le Tribunal, dans toutes les décisions qui concernent un enfant, doit rendre jugement en fonction du meilleur intérêt de celui-ci.

[9]        Chaque cas doit être étudié et le jugement prononcé en fonction des faits particuliers à l’instance, selon ce qui caractérise l’enfant visé.

[10]        Son âge, sa situation de santé, ses besoins moraux, intellectuels et éducatifs, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation doivent être pris en considération[2].

Position des parties

[11]        Alors que madame est d’avis que X doit retourner en classe, monsieur pense que celui-ci doit poursuivre son cheminement éducatif à la maison.

[12]        Madame soutient que X a des difficultés scolaires importantes.

[13]        Outre ses résultats scolaires, qui reflètent ses difficultés et montrent même une situation d’échec, un plan d’intervention a été mis en place à l’école pour favoriser l’apprentissage avec des outils technologiques ainsi qu’un accompagnement particularisé par l’enseignante[3].

[14]        Selon madame, X fait partie de ces élèves à qui il est fortement recommandé d’effectuer un retour en classe.

[15]        Madame soutient qu’il y a lieu de procurer à X tous les moyens pour qu’il maintienne ses acquis scolaires et, encore mieux, qu’il les améliore.

[16]        Selon elle, le retour en classe lui permettrait de bénéficier de l’accompagnement et de l’encadrement de professionnels de l’enseignement tout au long de la journée.

[17]        De son côté, monsieur, camionneur, est pour l’instant en arrêt de travail. Son retour au travail est prévu le 8 juin prochain.

[18]        C’est la mère de monsieur, âgée de 72 ans, qui assurerait alors la surveillance des enfants.

[19]        D’ailleurs, et c’est l’un des principaux motifs de monsieur, ce dernier soumet que X ne pourrait avoir de contacts avec sa grand-mère, qui occupe un appartement au-dessus du sien, non plus que lui-même, si X retournait à l’école[4].

[20]        Monsieur soutient que X peut poursuivre son cheminement scolaire à la maison malgré ses difficultés d’apprentissage.

[21]        Il a d’ailleurs fait l’achat d’un ordinateur que X peut utiliser et apporter chez madame.

[22]        Selon monsieur, le personnel enseignant est en mesure de planifier et d’accompagner X par des exercices et travaux adaptés à distance[5].

[23]        Il ajoute que cette situation d’apprentissage à la maison serait même bénéfique pour X alors qu’il pourrait déterminer son propre rythme de travail[6].

Analyse et décision

[24]        Dans deux jugements prononcés dans le contexte de cette réouverture progressive des établissements scolaires[7], notre collègue le juge Claude Villeneuve fait état d’un certain nombre d’éléments en lien avec la pandémie et les arrêtés et décrets adoptés.

[25]        De la lecture de ces affaires, le Tribunal retient les éléments suivants :

·        Il n’appartient pas aux tribunaux, mais aux autorités gouvernementales compétentes, d’évaluer les risques potentiels de contamination;

·        La Loi sur l’instruction publique donne le droit à chaque enfant de recevoir les services éducatifs, mais instaure également l’obligation de fréquentation scolaire de 6 ans à 16 ans;

·        Les parents doivent prendre les moyens nécessaires pour que les enfants remplissent leur obligation de fréquentation scolaire;

·        Le gouvernement n’a pas rendu obligatoire le retour en classe.

[26]        Dans le cas de X, les parties conviennent que leur fils a des difficultés d’apprentissage.

[27]        Celui-ci n’a pas de condition de santé qui ferait de lui un enfant plus à risque.

[28]        Toutefois, la situation de difficulté scolaire de X fait en sorte qu’il a des défis importants à relever, ce qui exige aussi l’implication des parents.

[29]        D’ailleurs, alors qu’elle expose aux parties les stratégies qu’elle devra élaborer pour X, son enseignante écrit ceci[8] :

Comme je vous l’ai mentionné ci-haut, je vois que tous les deux, vous désirez sa réussite. Pour cette raison, je serai honnête avec vous et je me permets de vous nommer ce dont j’aurais besoin pour accompagner X parce que ce ne sera pas toujours facile et parce que cet accompagnement sera exigeant pour vous. Il vous demandera du temps, de la constance ainsi que de la patience.

[30]        Comme le souligne madame dans sa demande et tel qu’il apparait des communications de l’école, le Ministère de l’Éducation préconise le retour en classe pour les enfants présentant des retards ou difficultés scolaires[9].

[31]        Monsieur soutient qu’il est recommandé que X travaille en petit groupe, ce que lui permet l’école à la maison, et à son rythme.

[32]        À cela, il faut répondre qu’outre le plan d’intervention, qui prévoit les manières de faire face à ces défis, ce ne sont pas tous les enfants qui retourneront en classe, qu’il est à prévoir que la situation de distanciation impliquera de plus petites classes en nombre d’élèves et que X bénéficiera au surplus de plusieurs heures par jour d’accompagnement.

[33]        Alors que X fait partie des élèves qui doivent être priorisés, il est clair pour le Tribunal que dans son intérêt, il est préférable que celui-ci puisse bénéficier de l’encadrement d’un professionnel de l’enseignement pour faire face à ses difficultés d’apprentissage et qu’il puisse avoir accès aux outils adaptés pour lui qui seront à sa disposition par ce retour en classe.

[34]        Finalement, il se peut que cela ait pour conséquence que X doive se priver de contacts avec sa grand-mère, de même que son père dans le contexte de la pandémie actuelle.

[35]        Mais à cette mesure on doit prioriser l’intérêt de X.

[36]        Ainsi, le Tribunal ne voit pas l’intérêt de l’enfant d’être privé d’une opportunité de maintenir, voire peut-être améliorer ses acquis en bénéficiant d’enseignement et d’accompagnement scolaire par des professionnels dans ce secteur, et ce, en vue d’obtenir le soutien scolaire le plus optimal possible.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[37]        ORDONNE que l’enfant X fréquente un établissement scolaire à temps plein à compter du 11 mai 2020, à moins de nouvelles directives gouvernementales reportant cette date;

[38]        RECOMMANDE aux parties et leur RÉITÈRE d’appliquer les mesures d’hygiène et de distanciation sociale recommandées par les autorités;

[39]        SANS FRAIS DE JUSTICE.

 

 

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LISE BERGERON, j.c.s.

 

Me Julie Hamelin

Chabot Avocats

Procureurs de la demanderesse

 

Me Julie Auger

Procureure du défendeur

 

Date d’audience :

8 mai 2020

 



[1]     Article 600 C.c.Q.

[2]     Article 33 C.c.Q.

[3]     Voir le plan d’intervention.

[4]     Paragraphe 2 l) et m) de la déclaration sous serment de monsieur.

[5]     Voir la communication de l’enseignante aux parties, pièce P-2.

[6]     Pièce P-2, p. 2.

[7]     I.D. c. F.F., C.S. Bedford, nº 460-04-006165-193, j. Villeneuve et M.D. c. M.C., C.S. Bedford, nº 460-12-011071-199, j. Villeneuve.

[8]     Pièce P-2, p. 1.

[9]     Voir le paragraphe 10 de la demande de madame et la pièce P-1.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.