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Perreault c. Corriveau, 2019 QCCS 4853 (CanLII)

Date :
2019-11-20
Numéro de dossier :
500-17-107625-199
Référence :
Perreault c. Corriveau, 2019 QCCS 4853 (CanLII), <https://canlii.ca/t/j3grn>, consulté le 2024-04-25

Perreault c. Corriveau

2019 QCCS 4853

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

montréal

 

 

N° :

500-17-107625-199

 

 

DATE :

Le 20 novembre 2019

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

judith harvie, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

CHANTAL PERREAULT

Demanderesse

c.

MARIE-JOSÉE CORRIVEAU

Défenderesse

-et-

CLAUDE MAURER

MICHEL CHAGNON

ANDRÉ PRUD’HOMME

JASMIN MARTEL

STEVEN LAPOINTE

CHRISTIAN LALANCETTE

BENOIT CARON

MARYSE LALIBERTÉ

PIERRE TÉTRAULT

MAGGIE LANDRY

Mis en cause

-et-

BARREAU DU QUÉBEC

Intervenant

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

L’APERÇU

[1]         La présente affaire vise à déterminer si la présidente en chef du Bureau des présidents des conseils de discipline du Québec, Me Marie-Josée Corriveau détient le pouvoir de dessaisir, pour des raisons de manque de célérité, l’une des présidentes de conseils, en l’occurrence Me Chantal Perreault, de certains dossiers alors que ceux-ci sont au stade du délibéré.

[2]         Le Tribunal conclut que la présidente en chef possède ce pouvoir en vertu de l’art. 115.7 (1) Code des professions, même si la présidente est en délibéré, si elle exerce ce pouvoir dans le but de favoriser la célérité du traitement de la plainte et le processus décisionnel. Elle doit le faire de façon raisonnable, dans le respect de l’indépendance dont jouissent les présidents des conseils de discipline, ainsi que dans l’intérêt supérieur de la justice et des parties.

1.            LE CONTEXTE

1.1  Les faits

[3]         Le Code des professions encadre la discipline des ordres professionnels au Québec. La discipline relève, en premier lieu, des conseils de discipline dont chaque ordre doit se doter[1]. Ils se composent d’un président, avocat depuis au moins 10 ans[2] et de membres de l’ordre en cause nommés par son conseil d’administration[3].

[4]         Un conseil de discipline siège à trois membres : un président et deux autres membres choisis parmi les membres nommés par le Conseil d’administration[4]. Il se saisit des plaintes contre les membres, les instruit, en décide et impose la sanction, le cas échéant[5]. Les plaintes concernent principalement toute infraction au Code des professions, à la loi constituant l’ordre, ainsi qu’aux règlements applicables pour les membres de cet ordre[6].

[5]         Le Code des professions met en place le Bureau des présidents des conseils de discipline, lequel est composé d’au plus 20 présidents, dont un président en chef qui se charge de « l’administration et la direction générale du Bureau »[7]. Corriveau[8] se voit désignée présidente en chef à l’été 2015.

[6]         À la même période, Perreault devient présidente de conseils de discipline pour un mandat d’une durée de cinq ans, sujet à renouvellement[9].

[7]           Le Code des professions prévoit que le « conseil de discipline rend sa Décision dans les 90 jours de la prise en délibéré »[10] et que « [l]e conseil impose la sanction dans les 60 jours qui suivent la déclaration de culpabilité »[11].

[8]           Après un délibéré particulièrement long et complexe à l’automne 2017, Perreault cumule les retards dans ses autres délibérés. Dès la mi-janvier 2018, elle porte à l’attention de Corriveau qu’elle est submergée alors qu’elle compte peu de jours de délibéré dans les mois à venir. Elle demande de ne pas recevoir d’assignations supplémentaires en mars 2018 et un allégement de ses assignations en avril[12]. Elle affirmera en mai 2019 : « Ma situation de surcharge de travail était évidente dès le mois de mars 2018 et la situation d’augmentation des délais dans les dossiers était aussi facilement repérable. »[13] 

[9]           Outre ses assignations déjà prévues, la présidente en chef lui assigne un dossier additionnel en juin 2018[14].

[10]        Fin septembre 2018, Corriveau rencontre Perreault au sujet de la longueur de ses délibérés. Elles conviennent d’un allégement de ses assignations pour permettre à Perreault de se concentrer sur ses délibérés[15]. Elle siégera 10 jours en octobre et 9 jours en novembre 2018[16], mais ne siégera pas de nouveau à compter de décembre[17].

[11]        Elles se rencontrent une deuxième fois en février 2019 pour discuter à nouveau des délais de délibéré.

[12]        À la fin mars 2019, Corriveau lui fait parvenir un mémorandum dans lequel elle fait un état des lieux quant aux délais de délibérés, dont plusieurs dépassent significativement les délais prévus au Code des professions. Elle rappelle, d’une part, ce qu’elle considère être des engagements pris par Perreault au début février, quant au moment où certaines décisions devaient être rendues et, d’autre part, l’allégement supplémentaire accordé quant à ses tâches, incluant l’absence de nouvelles assignations depuis quelques mois. Puis, elle souligne :

Je constate que, malgré cet allégement de tâches, tu as signé une seule Décision depuis notre rencontre, soit une Décision en retrait de plainte […] le 27 février 2019.

[…]

À ce jour, tu as 12 délibérés qui dépassent les 180 jours, dont 8 dépassent les 300 jours desquels 6 dépassent 12 mois. […]

[…]

Comme il devient urgent que cette situation se résorbe, je n’ai pas le choix de prendre les moyens qui s’imposent. Par conséquent, je juge qu’il est dans l’intérêt de la protection du public, des parties et de notre organisation que je te dessaisisse de certains dossiers.

J’adopterais donc la même méthode que j’ai utilisée […], soit de te dessaisir des délibérés sur culpabilité et sanction et ceux sur sanction considérant que ces dossiers sont plus faciles à transférer à un autre président ou présidente et causent moins d’inconvénients aux parties concernées. Tu conserveras tes délibérés sur culpabilité jusqu’à nouvel ordre.

Je ne t’assignerai aucun nouveau dossier tant que tu n’auras pas rendu les décisions sur culpabilité apparaissant sur la liste ci-dessus.[18]

[13]        Elle lui annonce ensuite qu’elle compte la dessaisir de neuf dossiers précis qu’elle énumère, puis elle lui donne jusqu’au 5 avril 2019 pour lui faire part de ses observations.

[14]        Le 2 avril 2019, Perreault répond par écrit en soulignant qu’elle n’avait pas compris de la discussion de février qu’elle prenait « un engagement ferme » sur des dates de finalisation de décisions, mais plutôt qu’elle ferait les « meilleurs efforts pour accomplir le plan général de travail »[19]. Elle explique les raisons de certains délais et fait état des derniers avancements dans certains délibérés puis, elle propose un échéancier pour l’ensemble de ses dossiers en délibéré, échéancier qu’elle qualifie de réaliste et qu’elle s’engage à respecter. Elle ne discute pas de la possibilité qu’elle soit dessaisie de certains dossiers et mentionne à la toute fin de sa réponse: « Je suis persuadée que tu comprends l’importance pour moi de finir mes dossiers »[20].

[15]        Le 5 avril 2019, Corriveau lui écrit qu’elle la dessaisit de cinq dossiers sur sanction en délibéré depuis: (1) 384 jours; (2) 382 jours; (3) 214 jours; (4) 193 jours et (5) 126 jours (« Décision »)[21]. Elle la laisse saisie de quatre dossiers, dont elle avait parlé de la dessaisir, en confirmant l’échéancier proposé par Perreault. Puis, elle souligne qu’elle peut également garder sept autres dossiers sur culpabilité dont les délibérés se situent entre 419 jours et 83 jours, dans la mesure où Perreault juge réaliste de respecter l’échéancier qu’elle a elle-même proposé. Enfin, elle mentionne qu’elle ne lui assignera aucun nouveau dossier jusqu’au 15 juin 2019.

[16]        Corriveau base sa Décision sur le devoir de favoriser la célérité du traitement des plaintes et du processus décisionnel, la protection du public, l’état des délibérés, y compris la nature des décisions à rendre, le nombre et la longueur des délibérés, les conséquences du dessaisissement sur les parties, le nombre de décisions rendues au cours de la dernière année, ainsi que le délai pour les rendre et, finalement, les observations de Perreault du 2 avril, dont l’échéancier qu’elle propose.

[17]        Le 8 avril 2019, cette dernière lui fait parvenir une lettre de mise en demeure dans laquelle elle l’informe que, selon elle, la présidente en chef ne possède pas le pouvoir de la dessaisir en vertu du Code des professions. Pour Perreault, un dessaisissement équivaut à « une destitution déguisée partielle ou totale », « une ingérence dans son indépendance décisionnelle », « un abus de pouvoir » et contrevient à l’intérêt supérieur de la justice et des parties qui n’ont pas été consultées[22].

[18]        Corriveau maintient sa Décision[23]. Constatant que Perreault persiste à travailler sur les dossiers dont elle a été dessaisie, elle lui demande par écrit de respecter sa Décision et de se concentrer sur les dossiers dont elle demeure toujours saisie pour respecter l’échéancier[24].

[19]        Perreault fait tout de même parvenir un projet de décision aux membres du conseil de discipline pour commentaires dans un dossier dont elle est dessaisi, entraînant ainsi de la confusion auprès des membres[25].

[20]        Puis, ses avocats expédient une mise en demeure à Corriveau affirmant que cette dernière agit sans droit et que la Décision est un « accroc à l’indépendance judiciaire »[26]. Ils exigent la confirmation que leur cliente demeure toujours saisie des dossiers, à défaut de quoi ils entameront des procédures.

[21]        Par la suite, Corriveau retire l’accès informatique à Perreault des dossiers dont elle est dessaisie selon la Décision[27] et elle entreprend diverses démarches pour les faire progresser[28].

[22]        Le 9 et 16 avril 2019, les conseils de discipline que préside Perreault rendent chacun une décision, dans deux dossiers dont elle est demeurée saisie, alors en délibéré depuis plus d’un an[29].

[23]        Le 1er mai, la Cour supérieure émet une ordonnance de sursis de la Décision tout en ordonnant que les cinq dossiers ne soient pas réassignés à Perreault et en y suspendant les procédures et les délibérés.

[24]        Les 6 et 24 mai, les conseils de discipline que préside Perreault rendent chacun une décision dans deux dossiers dont elle demeurait saisie, des affaires en délibéré depuis plus d’un an[30].

[25]        Au 4 juin 2019, Perreault compte sept dossiers en délibéré, dont deux depuis plus d’un an, quatre depuis un délai se situant entre 180 et 323 jours et un à 147 jours[31].

[26]        Au 4 juin 2019, il semble que Perreault ne respecte pas l’échéancier proposé par elle le 2 avril 2019[32] dans quatre dossiers, lesquels avaient des délibérés de 430 jours à un peu plus de 300 jours à cette date.

[27]        Selon Corriveau, entre le 1er avril 2018 et le 4 juin 2019, 25 dossiers assignés à Perreault dépassaient le délai de 90 jours de délibéré prévu au Code des professions, dont quatre avaient un délai de plus d’un an, 10 un délai de 180 jours à un an et un dossier un délai de 174 jours[33].

1.2  Les positions des parties

[28]        Perreault demande au Tribunal de déclarer que la présidente en chef ne possède pas le pouvoir de dessaisir un président assigné qui, d’une part, a instruit la plainte et, d’autre part, est en délibéré puisque le Code des professions ne lui accorde pas ce pouvoir explicitement. Pour elle, la Décision est ultra vires des pouvoirs de la présidente en chef et ce, peu importe comment celle-ci exerce ce pouvoir. Elle ne présente pas d’argument subsidiaire selon lequel, si un tel pouvoir existe, il aurait été exercé de façon déraisonnable dans les faits, si ce n’est que pour prétendre que Corriveau a violé les règles de justice naturelle en n’entendant pas les parties impliquées dans les dossiers avant de décider du dessaisissement.

[29]        Corriveau prétend que la demande constitue, en réalité, un pourvoi en contrôle judiciaire de la Décision qui doit être analysé en fonction de la norme de la décision raisonnable. Selon elle, comme le Code prévoit le pouvoir « de prendre les mesures visant à favoriser la célérité […] du processus décisionnel »[34], la seule question vise à déterminer s’il s’avère raisonnable que la présidente en chef considère le dessaisissement comme une des mesures possibles et ajoute que les règles de justice naturelle ont été respectées.

1.3  Les questions en litige

[30]        La présente affaire soulève les questions suivantes :

-      La nature du recours entrepris et, le cas échéant, la norme de contrôle applicable.

-      L’existence du pouvoir de dessaisissement de dossiers en délibéré.

-      Les règles de justice naturelle.

1.4  Les dispositions applicables

[31]        Les dispositions pertinentes du Code des professions se trouvent en annexe.

2.            L’ANALYSE

2.1  La nature du recours

[32]        Perreault dépose une demande en jugement déclaratoire en vertu de l’article 142 C.p.c. et en révision d’une décision. Bien qu’elle ne réfère pas aux articles 34 et 529 C.p.c. sur le pourvoi en contrôle judiciaire, elle demande au Tribunal de déclarer ultra vires la Décision[35].

[33]        Les conclusions visent donc à faire déclarer que Corriveau « n’a pas la compétence juridictionnelle pour dessaisir un président en fonction lorsqu’il a débuté l’instruction du dossier »[36], en plus de demander que soit déclaré « nul et ultra vires le dessaisissement de la demanderesse dans les cinq (5) dossiers qui ont fait l’objet de la [D]écision »[37].

[34]        Corriveau prétend que la nature véritable de la Demande est celle d’un pourvoi en contrôle judiciaire et que le Tribunal doit déterminer la norme de contrôle applicable.

[35]        Le Tribunal en convient.

[36]        En effet, les extraits pertinents des articles 34 et 529 du Code de procédure civile mènent à cette conclusion:

34. La Cour supérieure est investie d’un pouvoir général de contrôle judiciaire sur les tribunaux du Québec autres que la Cour d’appel, sur les organismes publics, sur les personnes morales de droit public ou de droit privé, les sociétés et les associations et les autres groupements sans personnalité juridique.

Ce pouvoir ne peut s’exercer dans les cas que la loi exclut ou qu’elle déclare être du ressort exclusif de ces tribunaux, personnes, organismes ou groupements, sauf s’il y a défaut ou excès de compétence.

La cour est saisie au moyen d’un pourvoi en contrôle judiciaire.

529. La Cour supérieure saisie d’un pourvoi en contrôle judiciaire peut, selon l’objet du pourvoi, prononcer l’une ou l’autre des conclusions suivantes:

[…]

2° évoquer, à la demande d’une partie, une affaire pendante devant une juridiction ou réviser ou annuler le jugement rendu par une telle juridiction ou une décision prise par un organisme ou une personne qui relève de la compétence du Parlement du Québec si la juridiction, l’organisme ou la personne a agi sans compétence ou l’a excédée ou si la procédure suivie est entachée de quelque irrégularité grave;

[Soulignements du Tribunal]

[37]        À l’évidence, la véritable nature de la demande relève du contrôle judiciaire, puisqu’elle cherche à faire annuler la Décision et non simplement à faire déclarer la compétence de la présidente en chef[38].

[38]        Quant aux paramètres applicables aux jugements déclaratoires, la Cour suprême du Canada affirme dans l’arrêt Ewert c. Canada[39]:

[83]  Un jugement déclaratoire constitue une réparation discrétionnaire. Comme c’est le cas pour les autres réparations discrétionnaires, le tribunal devrait habituellement refuser de rendre un jugement déclaratoire lorsque la loi prévoit un autre moyen approprié de régler le litige ou de protéger les droits en question.

[Citation omise]

[39]        Le Tribunal conclut qu’il n’existe pas en l’instance de circonstances exceptionnelles justifiant de s’écarter de ce principe. D’ailleurs, selon l’arrêt Ewert, un jugement déclaratoire n’a pas pour effet d’invalider les décisions particulières de l’organisme même si elles ne se conforment pas aux conclusions du jugement déclaratoire puisque, pour qu’elles soient invalidées, une demande en contrôle judiciaire devra être présentée[40].

[40]        Compte tenu de la nature des enjeux en cause, le Tribunal entend toutefois appliquer « une approche souple face aux questions de procédure, favorisant ainsi la reconnaissance des droits »[41] de façon à éviter un « résultat final inacceptable dans un système judiciaire comme le nôtre, qui vise à faire apparaître le droit et non pas à le taire au moyen de la procédure » [42]. Ainsi, il entend déterminer si la Décision doit être annulée au sens de l’art. 529 C.p.c. pour excès de compétence. D’ailleurs, lors de l’audition, les parties se sont dites d’accord avec cette approche.

2.2  La norme de contrôle applicable

[41]        Dans l’éventualité où le Tribunal qualifiait le recours de pourvoi en contrôle judiciaire, Perreault fait valoir que la norme de la décision correcte doit s’appliquer en l’instance puisque la Décision imposant le dessaisissement est ultra vires des pouvoirs accordés à la présidente en chef du Bureau. Celle-ci défend plutôt la norme de la décision raisonnable puisque, selon elle, la question n’en est pas une de « compétence véritable » mais bien de simple interprétation du pouvoir accordé en vertu du Code.

[42]        Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick[43], la Cour suprême du Canada établit qu’en matière de pourvoi en contrôle judiciaire, deux normes de contrôle s’appliquent, soit « celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable »[44]. Pour déterminer la bonne norme à appliquer, la Cour suprême souligne :

[51] […] Nous verrons qu’en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement.  De nombreuses questions de droit commandent l’application de la norme de la décision correcte, mais certaines d’entre elles sont assujetties à la norme plus déférente de la raisonnabilité.

[53] En présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée […]

[Citations omises, soulignements du Tribunal]

[43]        Dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association, la Cour suprême résume et précise en ces mots le test applicable :

[30] […] Suivant la jurisprudence, « [l]orsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise » […].  Le principe ne vaut cependant pas lorsque l’interprétation de la loi constitutive relève d’une catégorie de questions à laquelle la norme de la décision correcte demeure applicable, à savoir les « questions constitutionnelles, [les] questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du décideur, [les] questions portant sur la « délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents » [et] les questions touchant véritablement à la compétence » […].

[33] […] Rappelons la mise en garde maintes fois citée du juge Dickson […] à savoir que les cours de justice doivent « éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence, et ainsi de l’assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu’il existe un doute à cet égard » […] Comme l’explique notre Cour […] « la Cour se distancie expressément des définitions larges de la compétence » […].  L’expérience enseigne que peu de questions appartiennent à la catégorie des véritables questions de compétence.  […]

[34] La consigne voulant que la catégorie des véritables questions de compétence appelle une interprétation restrictive revêt une importance particulière lorsque le tribunal administratif interprète sa loi constitutiveEn un sens, tout acte du tribunal qui requiert l’interprétation de sa loi constitutive soulève la question du pouvoir ou de la compétence du tribunal d’accomplir cet acteOr, depuis Dunsmuir, la Cour s’est écartée de cette définition de la compétence.  En effet, au vu de la jurisprudence récente, le temps est peut-être venu de se demander si, aux fins du contrôle judiciaire, la catégorie des véritables questions de compétence existe et si elle est nécessaire pour arrêter la norme de contrôle applicable.  Cependant, faute de plaidoirie sur ce point en l’espèce, je me contente d’affirmer que, sauf situation exceptionnelle — et aucune ne s’est présentée depuis Dunsmuir —, il convient de présumer que l’interprétation par un tribunal administratif de « sa propre loi constitutive ou [d’]une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire.[45]

[Citations omises, soulignements du Tribunal]

[44]        Dans l’affaire Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)[46], la Cour suprême applique également la norme de la décision raisonnable à une décision discrétionnaire du ministre de la Sécurité publique et de la protection civile qui, implicitement, interprète une loi très étroitement liée à son mandant, soit la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés[47], lui permettant d’accorder une dispense ministérielle dans l’intérêt national.

[45]        En l’espèce, l’art. 115.7 C. prof. énumère les fonctions de la présidente en chef liées à « l’administration et […] la direction générale du Bureau » qui inclut tous les présidents de conseil de discipline. Ce même article précise que la présidente en chef «  a notamment pour fonction […] de prendre les mesures visant à favoriser la célérité du traitement de la plainte et du processus décisionnel […] de coordonner et de répartir le travail des présidents qui, à cet égard, doivent se soumettre à ses ordres et directives ».

[46]        Ces fonctions nécessitent l’exercice de pouvoirs discrétionnaires et non juridictionnels de la présidente en chef qui ne sont pas sujets à appel et se voient protégés par une clause privative :

193. Ne peuvent être poursuivis en justice en raison d’actes accomplis de bonne foi dans l’exercice de leurs fonctions:

[…]

4°   le président en chef, le président en chef adjoint, un conseil de discipline ou un membre ou le secrétaire de ce conseil;

[…]

194. Sauf sur une question de compétence, aucun pourvoi en contrôle judiciaire prévu au Code de procédure civile (chapitre C25.01) ne peut être exercé ni aucune injonction accordée contre les personnes ou l’organisme visés à l’article 193 agissant en leur qualité officielle.

[47]        Lorsqu’elle détermine les mesures à imposer pour favoriser la célérité du processus décisionnel, la présidente en chef interprète, implicitement, sa loi constitutive, soit le Code des professions, quant à un pouvoir discrétionnaire que cette loi lui accorde sur un aspect central à son expertise.

[48]        Une jurisprudence abondante et constante prévoit qu’un décideur administratif exerçant des pouvoirs discrétionnaires qui ne sont pas juridictionnels doit se voir appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable, sous réserve de certaines exceptions restreintes qui non pas été établies[48].

[49]        Il importe de noter que le Code place au cœur des questions de discipline, le principe de célérité du processus. Il prévoit de courts délais pour rendre des décisions des conseils de discipline[49].

[50]        La présidente en chef joue un rôle central en cette matière. Elle désigne le président qui siège sur une plainte donnée en tenant compte notamment du nombre de plaintes dont chaque président est saisi et des besoins particuliers de certains ordres professionnels[50]. De plus, l’art. 139 C. prof. prévoit :

139. Le président en chef, en collaboration avec le président du conseil de discipline et le secrétaire du conseil, doit s’assurer que l’audience débute dans un délai raisonnable. À moins de circonstances particulières, celle-ci doit débuter dans les 120 jours de la signification de la plainte.

[Soulignements du Tribunal]

[51]        En outre, lorsqu’à l’expiration de son mandat, un président est remplacé par le gouvernement alors qu’il est saisi de plaintes, il peut continuer à les instruire « avec l’autorisation du président en chef et pour la durée que celui-ci détermine »[51]. À ce sujet, le Code des professions prévoit en outre: « Lorsque la décision n’est pas rendue dans le délai déterminé par le président en chef, celui-ci peut, d’office ou sur demande de l’une des parties, prolonger ce délai ou dessaisir le président de l’instruction de la plainte. […] Avant de prolonger le délai ou de dessaisir le président, le président en chef doit tenir compte des circonstances et de l’intérêt des parties. » [52] [Soulignements du Tribunal]

[52]        Dans tous les cas où un président ne termine pas l’instruction d’une plainte, « le président en chef doit, dans les plus brefs délais, désigner un nouveau président pour l’instruction de cette plainte, quelle que soit l’étape de l’audience où elle est rendue. »[53]

[53]        En plus de son pouvoir discrétionnaire d’imposer des mesures en matière de célérité du traitement de la plainte et du processus décisionnel[54], le président en chef doit présenter annuellement au ministre désigné un plan « dans lequel il expose ses objectifs de gestion pour assurer la qualité et la célérité du traitement de la plainte et du processus décisionnel et fait état des résultats obtenus dans l’année antérieure »[55].

[54]        Pour chaque conseil de discipline, le président en chef fournit au ministre, entre autres, les renseignements suivants compilés mensuellement : « la nature des plaintes et requêtes prises en délibéré, leur nombre ainsi que le temps consacré aux délibérés; […] le temps consacré aux instances à partir de la réception de la plainte ou de la requête jusqu’au début de l’audience ou jusqu’à ce que la décision sur culpabilité et, le cas échéant, sur la sanction soit rendue »[56]. L’article 115.9 C. prof. édicte également : « Le président en chef peut faire au ministre des recommandations visant à améliorer le traitement de la plainte et le processus décisionnel. » [Soulignements du Tribunal]

[55]        Le Tribunal conclut donc que la norme de contrôle applicable en l’instance est celle de la décision raisonnable quant à l’interprétation donnée par la présidente en chef de ses pouvoirs discrétionnaires prévus à sa loi constitutive. Le fait que cette décision mette en cause le principe d’indépendance judiciaire protégé par la Charte des droits et libertés de la personne[57] ne modifie pas cette conclusion, comme l’a conclu la Cour suprême dans l’affaire Doré c. Barreau du Québec[58] :

54. […] Il continue donc à être justifié de faire preuve de déférence à l’endroit du décideur administratif compte tenu de son expertise et de sa proximité aux faits de la cause puisque, même quand les valeurs consacrées par la Charte sont en jeu, il sera généralement le mieux placé pour juger de l’incidence des valeurs pertinentes de ce type au regard des faits précis de l’affaire.  Cela étant dit, tant les décideurs que les tribunaux qui procèdent à la révision de leurs décisions doivent analyser les questions qui leur sont soumises en gardant à l’esprit l’importance fondamentale des valeurs consacrées par la Charte.

[56]        À tout événement, si le Tribunal devait se tromper quant à la norme de contrôle applicable en raison de l’importance capitale que revêt cette question pour le système juridique[59] ou parce que la question en est une de « véritable compétence »[60], cela ne modifierait en rien ses conclusions. En effet, même en appliquant la norme de contrôle de la décision correcte, le Tribunal en arrive à la conclusion que la décision de la présidente en chef relevait de sa compétence.

2.3  L’interprétation des fonctions de la présidente en chef

2.3.1     Prétentions des parties

[57]        Perreault fait valoir que les fonctions de la présidente en chef doivent recevoir une interprétation restrictive lorsqu’ils ont des conséquences exceptionnelles et affectent l’indépendance judiciaire dont jouissent les décideurs administratifs. Pour elle, comme le Code des professions ne prévoit pas explicitement le pouvoir de dessaisir, outre dans un cas précis qui n’est pas applicable en l’espèce[61], il ne revient pas au Tribunal d’interpréter la loi pour accorder ce pouvoir implicitement. Ainsi, en l’espèce, la Décision est ultra vires des pouvoirs de la présidente en chef. Elle souligne que le législateur prévoit explicitement ce pouvoir lorsqu’il veut l’accorder, par exemple dans le Code de procédure civile[62]. Il ne revient donc pas au Tribunal de modifier une loi dans le cadre de son interprétation.

[58]        Corriveau argue que le Code prévoit des fonctions suffisamment larges de la présidente en chef pour inclure ce pouvoir qui s’inscrit dans le contexte global de la législation, ses objectifs et l’intention du législateur. Elle s’appuie aussi sur un argument de cohérence législative puisque plusieurs décideurs administratifs se voient accorder expressément de tels pouvoirs.

[59]        Enfin, l’intervenante, le Barreau du Québec, s’appuie sur l’objectif général de saine gestion de justice disciplinaire, la finalité de protection du public du Code des professions et la cohérence législative pour appuyer la position de Corriveau. Selon elle, le pouvoir de dessaisir respecte l’indépendance judiciaire tant qu’il ne s’exerce pas de façon arbitraire, en tenant compte des circonstances, de l’intérêt de la justice et des parties.

2.3.2     Principes de droit applicables

[60]        Selon le principe général, il revient au décideur qui a entendu une affaire de la trancher[63]. Ce principe se trouve au cœur des règles d’équité et de justice naturelle. Il assure généralement l’efficacité du processus décisionnel et protège l’indépendance des décideurs qui ne doivent pas être soumis à des dessaisissements aléatoires. Il s’agit de valeurs consacrées notamment par la Charte des droits et libertés de la personne[64].

[61]        Il peut cependant arriver que le dessaisissement d’un décideur s’avère requis notamment pour assurer la célérité du processus décisionnel[65]. Ces cas demeurent l’exception et doivent recevoir une interprétation stricte, vu l’importance des valeurs d’équité, de justice naturelle et d’indépendance des décideurs qui sous-tendent le principe général.

[62]        Le processus disciplinaire prévu au Code suit ces principes. Il prévoit que les conseils de discipline siègent à trois : un président et deux membres[66]. Évidemment, le conseil saisi d’une affaire et qui procède à son instruction doit normalement rendre la décision sur culpabilité[67] et sanction[68], le cas échéant. Toute exception à ce principe reçoit une interprétation restrictive[69].

[63]        Le présent dossier soulève toutefois la question de savoir si l’existence du pouvoir de dessaisir, et non son exercice, doit également recevoir une interprétation stricte au point que soit exigé que le législateur ait prévu expressément ce pouvoir pour exister.

[64]        Conformément à la méthode moderne d’interprétation appliquée à maintes reprises par la Cour suprême, il faut interpréter les termes de la loi dans leur contexte global selon le sens ordinaire et grammatical des mots, en harmonie avec l’objet de la loi et l’intention du législateur[70].

[65]        Dans l’affaire Québec (Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail) c. Caron[71], la majorité de la Cour suprême indique que les valeurs des chartes doivent également être prises en compte dans l’interprétation que donne un décideur administratif à sa loi habilitante :

[32] Les outils servant à aborder les questions soulevées en l’espèce se trouvent dans l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30 (CanLII), [2004] 1 R.C.S. 789, où le juge LeBel a confirmé que les lois québécoises doivent être interprétées conformément aux principes de la Charte québécoise :

Dans le droit du Québec, dans les matières relevant de la compétence de l’Assemblée nationale, la Charte québécoise se trouve élevée au rang de source de droit fondamental. L’interprétation de la législation doit s’inspirer de ses principes. La disposition préliminaire du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, souligne d’ailleurs que ce dernier, à titre de droit commun du Québec, doit s’interpréter en harmonie avec elle. [Italiques ajoutés; par. 20]

Il s’agit d’une méthode qui a généralement été employée dans la jurisprudence québécoise. Elle adhère au point de vue selon lequel toutes les lois du Québec doivent être interprétées conformément à la Charte québécoise. […]

[33] Cette approche a également été appliquée à l’extérieur du Québec, comme la Cour l’a souligné dans l’arrêt Via Rail :

[D]u fait qu’elle énonce « une politique générale applicable à des questions d’intérêt général », une loi sur les droits de la personne fait partie de l’ensemble des règles de droit pertinentes nécessaires pour aider un tribunal administratif à interpréter sa loi habilitante. [par. 114]

[66]        Avant l’arrêt Caron, ce principe d’interprétation ne trouvait application que si une ambiguïté réelle existait quant au sens à donner au texte de la loi, c’est-à-dire lorsque celle-ci est susceptible de donner lieu à plus d’une interprétation[72]. En tout état de cause, le Tribunal considère qu’en vertu de l’une ou l’autre des méthodes d’interprétation, le résultat demeure inchangé car le sens du texte, même si on conclut qu’il est sans ambiguïté réelle, s’accorde avec les valeurs protégées par l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne[73].

[67]        Le Tribunal conclut que l’interprétation implicite retenue est non seulement raisonnable, mais également correcte, en se fondant sur les éléments suivants: (i) le sens à donner à l’article 115.7 (1) 2° C. prof. ; (ii) l’objet de la loi; (iii) l’intention du législateur par l’adoption de l’article 115.7 C. prof.; (iv) le contexte global de la disposition à interpréter; (v) l’interprétation des autres législations similaires; (vi) les précédents en la matière et ; (vii) l’indépendance des décideurs administratifs.

2.3.3     L’interprétation du Code des professions

i.              L’art. 115.7 (1) 2° du Code des professions

[68]        L’article 115.7 C. prof. édicte les fonctions de la présidente en chef des conseils de discipline de façon non exhaustive. Les parties pertinentes de cet article prévoient :

115.7  Le président en chef est chargé de l’administration et de la direction générale du Bureau. Il a notamment pour fonctions: […]

2°  de prendre les mesures visant à favoriser la célérité du traitement de la plainte et du processus décisionnel;

[Soulignements du Tribunal]

[69]        Le texte prévoit une charge générale liée à l’administration et la direction de l’ensemble des présidents de conseil. Aux fins de cette charge, la présidente en chef doit exercer des fonctions que la loi énumère.

[70]        Quant à la célérité du processus décisionnel, elle a pour fonction de prendre les mesures visant à la favoriser et accorde implicitement le pouvoir d’adopter les mesures requises. Toutefois, le texte ne prévoit pas quelles sont ces mesures.

[71]        Ainsi, il ne prévoit pas explicitement le pouvoir de dessaisir, mais il ne l’exclut pas non plus. Donc, les pouvoirs d’un décideur administratif peuvent découler implicitement du texte général. Dans l’affaire Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), la Cour suprême mentionne au sujet des pouvoirs implicites des instances administratives :

Les pouvoirs d'un tribunal administratif doivent évidemment être énoncés dans sa loi habilitante, mais ils peuvent également découler implicitement du texte de la loi, de son économie et de son objet.  Bien que les tribunaux doivent s'abstenir de trop élargir les pouvoirs de ces organismes de réglementation par législation judiciaire, ils doivent également éviter de les rendre stériles en interprétant les lois habilitantes de façon trop formaliste.[74] 

[72]        Il apparaît également utile de considérer que l’art. 57 de la Loi d’interprétation[75] prévoit que : « L’autorisation de faire une chose comporte tous les pouvoirs nécessaires à cette fin. » Cette règle d’interprétation tend vers la conclusion que les fonctions de la présidente en chef prévues à l’art. 115.7 du Code incluent le pouvoir de dessaisir une présidente de Conseil pour favoriser la célérité de processus.

[73]        Le législateur a décidé d’exprimer les fonctions accordées à la présidente en chef en faisant état d’objectifs et de finalités, plutôt qu’en le restreignant à des pouvoirs précis. Ainsi, il accorde une discrétion quant aux pouvoirs que la présidente en chef choisira d’exercer pour arriver à ses fins, tant que ceux-ci s’accordent et respectent l’ensemble des dispositions du Code des professions et l’intention du législateur.

[74]        On peut faire une analogie avec la portée à donner à un pouvoir réglementaire lorsque le texte habilitant ne prévoit que la finalité poursuivie et non les moyens précis. À ce sujet, les auteurs Dussault et Borgeat écrivent dans leur Traité de droit administratif :

Il arrive fréquemment que le Parlement confie à une autorité réglementaire la poursuite de fins particulière. Le but d’une telle délégation est d’assurer l’adoption d’une réglementation cohérente visant une finalité précise. […]

[…] L’examen de ces formulations permet souvent de déduire que le pouvoir délégué est celui d’édicter toute norme permettant la réalisation d’un objectif; bien plus qu’une simple compétence sur une matière spécifique, c’est une tâche […] que le Parlement a déléguée à l’Administration. L’étendue du pouvoir réglementaire ainsi concédé sera proportionnelle à l’ampleur de la fin spécifiée, celle-ci constituant la seule limitation prévue par le Parlement. E.A. Driedger est même d’avis que ces formes de délégation « constitute a wider authority than the general forms previously considered » puisque « where Parliament authorizes regulations for a stated purpose, the regulation-making authority has a free hand to establish, not only the details, but also the main principles ».[76]

[75]        Le Tribunal, dans son interprétation des fonctions de la présidente en chef, doit donc tenir compte de la fin visée par l’ensemble de la législation qui recherche la célérité du processus décisionnel et donner une interprétation suffisamment large aux fonctions pour permettre de l’atteindre.

ii.   L’objet de la loi

[76]        Le Code instaure les ordres professionnels qui ont pour fonction fondamentale d’assurer la protection du public, notamment en contrôlant l’exercice de la profession. La discipline des membres est l’un des moyens mis en place par le Code des professions pour atteindre cet objectif[77].

[77]        Il s’agit d’un domaine de droit sui generis qui s’inspire tant du droit civil que du droit criminel[78]. En matière de discipline professionnelle, le législateur reconnaît explicitement l’importance de la célérité du processus, tant pour la protection du public qui a intérêt à ce que les professionnels contrevenant aux lois et règlements soient jugés et sanctionnés rapidement, que pour les professionnels devant faire face à un processus disciplinaire qui ont droit de connaître leur sort dans les meilleurs délais, le tout dans le respect des règles de justice naturelle[79].

[78]        En effet, le législateur prévoit au Code des professions un ensemble de dispositions pour encourager la célérité du processus. Pour faciliter la compréhension, le Tribunal se permet de les rappeler:

(1) La présidente en chef a pour fonction de prendre des mesures propres à favoriser la célérité non seulement du traitement des plaintes mais également du processus décisionnel (art. 115.7 (1)   C. prof.).

(2) Les présidents de conseil doivent se soumettre aux ordres et directives de la  présidente en chef quant à la répartition et la coordination du travail (art. 115.7 (1) C. prof.).

(3) La présidente en chef fait rapport annuellement au ministre quant à ses objectifs de gestion pour assurer la célérité du traitement des plaintes mais également du processus décisionnel en indiquant mensuellement le nombre de requêtes prises en délibéré ainsi que le temps consacré aux délibérés de même que le temps consacré aux instances, en partant de la plainte jusqu’à la décision sur culpabilité et, le cas échéant, sur sanction (art. 115.8 C. prof.).

(4) La présidente en chef désigne le président qui siège sur une plainte et répartit le travail notamment en tenant compte du nombre de plaintes dont un président est saisi (art. 138 C. prof.).

(5) La présidente en chef, le président de conseil et le secrétaire doivent s’assurer que l’audience débute dans un délai raisonnable, soit dans les 120 jours de la plainte sauf circonstances particulières (art. 139 C. prof.).

(6) Les décisions sur culpabilité doivent être rendues dans les 90 jours de la prise en délibéré et les décisions sur sanction dans les 60 jours de la déclaration de culpabilité (art. 150 et 154.1 C. prof.).

(7) Lorsque le mandat d’un membre du conseil expire, qu’il est remplacé en cours d’instance ou empêché d’agir, une certaine marge de manœuvre est prévue afin que le processus n’ait pas à être entièrement repris dans tous les cas (art.118.2, 118.3, 118.4 et 118.5 C. prof.).

(8) Lorsqu’un président ne peut terminer une affaire dont il est saisi, la présidente en chef doit, dans les plus brefs délais, désigner un nouveau président pour l’instruction (art. 118.5 C. prof.).

iii.  L’intention du législateur

[79]        Le législateur amende le Code en 2013[80] pour créer le Bureau des présidents de conseils de discipline et mettre en place le poste de président en chef, dont il énonce les fonctions et le rôle, le tout avec l’intention explicite de favoriser la célérité du processus disciplinaire.

[80]        Le contexte de l’adoption de ces amendements est exposé par Marie-Claude Simard dans un article intitulé « Modifications au Code des professions. Transparence et intégrité: le système professionnel n'y échappe pas »[81]. Soulignons qu’entre 2011 et 2013, le Tribunal des professions déplore, à plusieurs reprises, les délais décisionnels des conseils de discipline et, dans certains cas, il conclut que ces délais violent les règles de justice naturelle, entraînant ainsi un allègement des sanctions[82].

[81]        L’un des objectifs principaux de l’amendement visait donc d’améliorer la célérité du processus disciplinaire. À ce sujet, Marie-Claude Simard souligne :

Le 14 février 2013, dans le cadre d’un point de presse, le ministre de la Justice commentait ainsi l’objectif de célérité du projet de loi :

            Le projet de loi vise de plus à accélérer l’étude des plaintes déposées contre un professionnel. Actuellement, il peut s’écouler « quatre, cinq ans » entre le dépôt d’une plainte et la décision, un non-sens selon le ministre. « Finis les délais indus, finis les retards injustifiés, finis les dossiers qui traînent pendant des années » a dit le ministre St-Arnaud en point de presse, sans cependant fixer d’échéance précise à ne pas dépasser.

C’est pourquoi il a aussi décidé de créer un Bureau des présidents des conseils de discipline, en vue de resserrer le processus d’étude des plaintes reliées aux ordres professionnels.[83]

[Citation omise]

[82]        Les débats parlementaires entourant l’adoption de ces modifications confirme d’ailleurs l’intention du législateur quant aux objectifs de célérité visés et l’importance du rôle joué par la présidente en chef dans l’atteinte de cet objectif. À ce sujet, le ministre de la Justice affirmait :

[…] Parce que je pense que sur ce dossier-ci, ce n'est pas un dossier où on doit faire preuve de partisanerie; on se l'est dit dès le début, on veut le meilleur projet de loi n° 17 possible. On sait qu'il s'inspire en bonne partie du projet de loi n° 79, déposé par mon prédécesseur, alors je pense qu'on veut tous améliorer notre système de justice disciplinaire pour qu'il soit plus efficace, plus rapide, qu'on n'ait plus ces délais qu'on voit dans un certain nombre de dossiers.

[…]

Mais, personnellement, je trouvais, M. le Président, que, comme on est en train de constituer un bureau des présidents des conseils de discipline avec des présidents à temps plein, qui se consacrent à temps plein à cet exercice de président des conseils de discipline — hein, c'est vraiment central — pour, justement, avec un juge en chef — un juge en chef — un président en chef et un président en chef adjoint qui vont s'assurer, là, que les présidents des conseils de discipline rendent justice rapidement, dans des délais rapides, soient à leur affaire — en fait, c'est l'objectif qui est derrière le projet de loi — m'est venue l'idée... nous est venue l'idée d'enlever les présidents à temps partiel. Donc, il faut que tous les présidents soient à temps plein[84].

[Soulignements du Tribunal]

[83]        Le Tribunal en conclut que l’on doit donner aux fonctions de la présidente en chef une interprétation permettant l’atteinte de cet objectif de célérité qui s’inscrit dans le but de protection du public visé par Code des professions.

iv.  Le contexte global

[84]        Cette conclusion s’arrime avec des interprétations déjà données par la Cour suprême au Code des professions. Ainsi, dans l’affaire Finney, elle condamne le Barreau du Québec pour son manque de diligence dans le traitement d’un dossier disciplinaire, ce qui contrevient à son mandat fondamental de protection du public et équivaut à une faute d’imprudence et de négligence grave :

[…] Ni la nécessité de respecter le cadre législatif et procédural de la discipline, d’agir avec soin et attention, ni la lourdeur inhérente au fonctionnement de toute administration n’expliquent la lenteur et l’absence de diligence constatées en l’espèce.  La nature des plaintes et le profil professionnel de l’avocat confirmaient pourtant que l’on se trouvait devant un cas urgent, qui devait être traité avec une grande diligence pour permettre au Barreau de remplir sa mission de protection du public en général et d’une victime bien identifiée en particulier[85].

[85]        De même, dans l’affaire Pharmascience Inc. c. Binet[86], la majorité de la Cour suprême donne une interprétation large aux pouvoirs d’enquête du syndic en vertu du Code des professions en tenant compte de l’objectif de protection du public qu’il poursuit.

[86]        Également, la Cour d’appel reconnaît dans l’affaire Normandin c. De Barros « la volonté législative de privilégier la célérité du processus »[87] par les amendements adoptés en 2013 au Code des professions.

[87]        La célérité participe d’ailleurs à l’accessibilité à la justice en favorisant la confiance du public dans son administration. Ainsi, les tribunaux reconnaissent que l’interprétation législative devrait favoriser cet objectif.

[88]        Dans une affaire de common law portant sur les jugements sommaires, la Cour suprême souligne l’importance de donner une interprétation aux législations qui crée « un environnement favorable à l’accès expéditif et abordable au système de justice civile ». À ce sujet, la Cour suprême souligne « les formalités excessives et les procès interminables occasionnant des dépenses et des délais inutiles peuvent faire obstacle au règlement juste et équitable des litiges » et elle ajoute « lorsque les coûts et les délais judiciaires deviennent excessifs, les gens cherchent d’autres solutions ou renoncent tout simplement à obtenir justice. »[88]

[89]        La Cour d’appel reconnaît l’application de ces principes en matière civile, notamment au regard du deuxième alinéa de la disposition préliminaire du Code de procédure civile en vigueur depuis janvier 2016 qui édicte « Le Code […] vise également à assurer l’accessibilité, la qualité et la célérité de la justice civile […] »[89].

[90]        Les règles de justice naturelle, dont l’obligation d’agir équitablement, sont incontournables et incluent, en matière administrative, la notion de délai raisonnable pour être jugé[90].

[91]        Ainsi, les commentaires de la Cour suprême dans l’affaire Jordan[91] quant à l’impact des délais déraisonnables en matière criminelle comportent une certaine pertinence en l’instance :

[26] Le prolongement des délais mine la confiance du public envers le système. […]

[27] Les Canadiens et Canadiennes s’attendent donc à juste titre à ce que notre système puisse rendre une justice de qualité d’une manière qui soit raisonnablement efficace et rapide. On croit parfois qu’il existe un tiraillement entre l’équité et la célérité. Il n’en est toutefois rien. […]

[28] Bref, les procès instruits en temps utile servent l’administration de la justice. Ils sont le gage du fonctionnement équitable et efficace du système. Accepter que des procès se tiennent après de longs délais a l’effet contraire. La possibilité que justice soit rendue d’une manière rapide et prévisible, [traduction] « l’outil de dissuasion le plus efficace », est gravement diminuée et elle devient illusoire dans certains cas à cause du report des procès […]

[Citation omise]

[92]        Outre le contexte de l’adoption de l’article 115.7 C. prof., l’objectif visé par cet amendement, l’intention du législateur et l’importance qui doit être reconnue aux mesures permettant de favoriser la célérité du processus décisionnel, le Tribunal ajoute que les autres dispositions du Code accordant des pouvoirs à la présidente en chef viennent appuyer cette interprétation.

[93]        D’une part, l’article 138 C. prof. édicte qu’il revient à la présidente en chef de désigner le président siégeant sur un conseil de discipline pour une affaire donnée en tenant compte « du nombre de plaintes dont ils sont saisis ». Il apparaît logique que le pouvoir de saisir inclut celui de dessaisir. Par analogie, le premier alinéa de l’article 55 de la Loi d’interprétation[92] prévoit :

55. Le droit de nomination à un emploi ou fonction comporte celui de destitution.

[94]         D’autre part, les articles 118.2 à 118.5 C. prof. énoncent les conséquences de l’incapacité pour un membre de conseil de compléter un dossier :

118.2. Les membres du conseil demeurent en fonction, à l’expiration de leur mandat, jusqu’à ce qu’ils soient nommés de nouveau ou remplacés par le gouvernement ou le Conseil d’administration, selon le cas.

118.4. Lorsqu’un membre est remplacé conformément à l’article 118.2, l’instruction peut être poursuivie et une décision sur la culpabilité et une décision sur la sanction validement rendue par les deux autres membres, pourvu que l’un d’eux soit le président.

Un président qui est remplacé peut toutefois continuer à instruire une plainte quelle que soit l’étape de l’audience où elle est rendue, avec l’autorisation du président en chef et pour la durée que celui-ci détermine.

Lorsque la décision n’est pas rendue dans le délai déterminé par le président en chef, celui-ci peut, d’office ou sur demande de l’une des parties, prolonger ce délai ou dessaisir le président de l’instruction de la plainte. La demande est déposée auprès du secrétaire du conseil de discipline concerné. Elle doit être signifiée conformément au Code de procédure civile (chapitre C-25.01) au président en chef et aux membres du conseil qui sont saisis de la plainte, ainsi qu’aux parties. Avant de prolonger le délai ou de dessaisir le président, le président en chef doit tenir compte des circonstances et de l’intérêt des parties.

118.5. Lorsqu’un président est destitué, est démis, est suspendu, est dessaisi de l’instruction d’une plainte, est empêché d’agir ou lorsqu’à la fin de son mandat il décide de ne pas poursuivre l’instruction d’une plainte, le président en chef doit, dans les plus brefs délais, désigner un nouveau président pour l’instruction de cette plainte, quelle que soit l’étape de l’audience où elle est rendue.

[Soulignements du Tribunal]

[95]        Ces articles ont également été ajoutés en 2013 dans le cadre de la Loi modifiant le Code des professions en matière de justice disciplinaire[93].

[96]        Perreault se fonde sur ces dispositions pour plaider que le seul cas de dessaisissement possible pour la présidente en chef est celui explicitement prévu par le législateur à l’art. 118.4 alinéa (3) C. prof., lequel ne s’applique pas à son cas puisqu’elle est toujours présidente. Pour elle, l’article 118.5 C. prof. ne peut concerner que le dessaisissement prévu à l’article 118.4 C. prof. puisqu’il s’agit du seul cas explicitement prévu.

[97]        Il ne fait aucun doute que l’article 118.4 C. prof. ne s’applique pas en l’instance. Pour le reste, le Tribunal ne peut retenir ces arguments. Rien à l’article 118.5 C. prof. ne restreint les cas de dessaisissements à celui prévu à l’article 118.4 C. prof. Au contraire, de par son énumération générale des situations qui doivent entraîner la désignation d’un nouveau président d’un conseil de discipline, les termes de l’article 118.5 C. prof. démontrent et confirment que le législateur considère le dessaisissement comme une mesure possible qui peut être imposé à un président d’un conseil en vertu du Code des professions et ce, sans restreindre les cas de dessaisissements.  

[98]        Puisque le législateur « ne parle pas pour ne rien dire »[94], il est alors légitime de se demander où réside l’utilité de l’alinéa 3 de l’article 118.4 C. prof. si l’article 115.7 C. prof. permet déjà le dessaisissement. Le Tribunal conclut que le législateur a voulu clarifier les pouvoirs de la présidente en chef sur un président d’un conseil qui n’est plus membre du Bureau des présidents de façon à éviter un vide juridique puisque l’article 115.7 C. prof. spécifie que « [l]e président en chef est chargé de l’administration et la direction générale du Bureau ».

[99]        L’interprétation retenue par le Tribunal quant aux fonctions de la présidente en chef s’harmonise également avec les articles du Code des professions qui limitent les délais de délibéré à 90 jours en matière de culpabilité et à 60 jours en matière de sanction[95], tout en gardant à l’esprit que la jurisprudence établit clairement que ces délais ne sont pas de rigueur mais vise une attente légitime[96].

[100]     Avant la création du poste de présidente en chef et l’adoption d’un Code de déontologie applicable aux membres des conseils de discipline des ordres professionnels[97], il n’existait aucune mesure pour assurer le respect de la célérité du processus décisionnel, autre que de conclure que les délais avaient entraîné une violation des règles de justice naturelle qui, dans les cas les plus graves, pouvait mener à une réduction de sanction[98]. Une telle situation nuisait à l’objectif premier du système disciplinaire des professionnels, soit la protection du public. Tel qu’exposé, le législateur a donc créé le Bureau des présidents et doté celui-ci d’un président en chef dont l’une des fonctions est de prendre des mesures visant à favoriser la célérité du processus décisionnel.

[101]     À l’évidence, conclure que le pouvoir de dessaisissement n’est pas une des mesures possibles dans des cas semblables à celui en l’instance, ferait en sorte que le problème demeurerait entier quant au moyen à prendre pour s’assurer qu’une décision soit rendue lorsque le président d’un conseil de discipline, saisit d’une affaire, tarde de façon déraisonnable à rendre sa décision.

[102]     La présidente en chef pourrait diminuer ou cesser l’assignation de nouvelles causes à ce président, le rencontrer, convenir avec lui d’un échéancier, mais ces mesures ne favorisent pas nécessairement la célérité du « processus décisionnel » dans le cas où le président de conseil ne rend toujours pas ses décisions malgré ces mesures, comme le démontrent sans équivoque les faits en l’instance. D’ailleurs, de prime abord, ces mesures relèvent davantage de la répartition et la coordination du travail des présidents[99] que d’une mesure favorisant la célérité du processus décisionnel.

[103]     Il apparaît utile de noter que depuis 2015[100], il s’avère également possible de porter plainte contre un président de conseil retardataire pour manquement au Code de déontologie applicable aux membres des conseils de discipline des ordres professionnels[101] qui prévoit :

10. Le membre exerce ses fonctions avec diligence afin de favoriser la célérité du processus décisionnel.

[104]      Une telle plainte pourrait entraîner, après enquête, une recommandation du Conseil de la justice administrative au gouvernement de réprimander, suspendre ou destituer le président fautif[102]. Un tel processus, dont les conséquences sont importantes, ne trouvera application que dans les cas les plus graves qui ne peuvent se justifier, que ce soit en raison de problèmes de santé ou personnels, par exemple[103]. Cependant, force est de constater que ce processus, bien que pouvant être nécessaire dans certaines situations, ajoute aux délais et, dans l’intervalle, ne règle pas le problème pour les parties impliquées dans un dossier dont la décision tarde à être rendue et n’assure pas la protection du public.

[105]     Le Tribunal conclut qu’il apparaît contraire aux objectifs du Code et à l’intention du législateur que les seules options possibles soient la plainte contre le président de conseil retardataire, le dessaisissement volontaire de celui-ci ou l’expiration de son mandat. Une telle interprétation placerait les parties et la protection du public à la merci de la décision de la personne elle-même responsable du délai, et donc difficilement meilleure juge de la mesure à prendre.

[106]     Enfin, le Tribunal ne considère pas que le pouvoir de dessaisissement puisse être vu comme une façon de contourner l’application du Code de déontologie. Le dessaisissement par la présidente en chef peut coexister avec le processus de plainte déontologique puisque ces deux avenues ont des objectifs différents. Autrement dit, l’un n’empêche pas l’autre. D’ailleurs, par analogie, l’article 324 C.p.c. prévoit que le juge en chef peut dessaisir un juge d’une affaire sans que cela n’empêche qu’une plainte puisse être portée pour manque de diligence devant le Conseil de la magistrature.

v.   Les autres législations

[107]     Plusieurs législations provinciales accordent explicitement le pouvoir de dessaisissement à des présidents de tribunal administratif[104]. Le Code de procédure civile accorde également au juge en chef le pouvoir de dessaisir un juge qui ne respecte pas les délais de délibéré[105]. Pour ce motif, il est tentant de conclure qu’a contrario le pouvoir est inexistant s’il n’a pas été expressément prévu. Ce type d’argument est cependant sujet à prudence comme le souligne le professeur Côté puisqu’il peut restreindre indûment la portée d’une législation[106].

[108]     Le Tribunal conclut que cet argument ne peut être retenu en l’instance alors qu’aucune de ces législations qui prévoient explicitement le dessaisissement n’accorde aux présidents des tribunaux administratifs la fonction « de prendre des mesures visant à favoriser la célérité du traitement de la plainte et du processus décisionnel », contrairement à ce qui est prévu à l’art. 115.7 (1) C. prof.[107] Cette situation doit être soulignée alors que plusieurs autres aspects des fonctions de ces présidents sont décrits dans des termes similaires aux fonctions de la présidente en chef.

[109]     L’art. 115.7 (1) C. prof. accorde donc une compétence en termes plus large quant aux mesures pouvant être prises par la présidente en chef dans le but de favoriser la célérité du processus décisionnel. La cohérence veut que ces mesures incluent le pouvoir de dessaisir un président de conseil qui, de façon déraisonnable, ne respecte pas les délais de délibéré alors que des présidents d’autres tribunaux administratifs ayant des fonctions similaires se voient attribuer ce pouvoir explicitement. À ce sujet, le professeur Côté mentionne dans son ouvrage Interprétation des lois :

La présomption de cohérence et d’harmonie entre les lois connexes ne s’applique pas uniquement à leur forme : elles sont aussi réputées refléter la volonté d’un législateur logique qui, à l’intérieur de l’ensemble des lois sur une même matière, est censé procéder systématiquement, c’est-à-dire sans contradiction, et donner à des problèmes semblables des solutions semblables[108].

vi.  Les précédents

[110]     Le seul précédent connu du Tribunal sur une question similaire à celle soulevée en l’espèce concerne la Cour canadienne de l’impôt, dans l’affaire High-Crest Enterprises Limited c. Canada[109].

[111]     Dans cette affaire, le juge en chef de la Cour canadienne de l’impôt convoque les parties à une conférence téléphonique, alors que leur cause est en délibéré depuis plus d’un an. Lors de cette conférence, il informe les parties qu’il a décidé de retirer le dossier au juge en délibéré pour le réassigner en leur offrant les choix suivants : que le nouveau juge choisi par lui tranche sur la base de la transcription ou préside un nouveau procès.

[112]     Dans sa réponse, la Couronne propose que, dans le contexte où le juge en délibéré siège toujours, le juge en chef devrait lui accorder un délai supplémentaire. Le juge en chef n’a pas retenu cette suggestion en mentionnant, lors d’une deuxième conférence téléphonique, qu’il avait retiré le dossier au juge en cause pour qu’une décision soit rendue et seules les deux options offertes précédemment subsistaient. Les parties choisissent donc de demander qu’un nouveau juge tranche sur la base de la transcription.

[113]     High-Crest perd sa cause et interjette appel au motif que le juge ayant rendu jugement n’avait pas juridiction puisque le juge en chef de la Cour canadienne de l’impôt ne possède pas le pouvoir de retirer un dossier en délibéré à un juge pour l’assigner à un autre juge.

[114]     La majorité de la Cour d’appel fédérale tranche en faveur de High-Crest au motif principal que les textes accordant les pouvoirs au juge en chef de la Cour canadienne de l’impôt ne prévoient que l’assignation des dossiers.

14 (2) Sous réserve des règles de la Cour, toutes les dispositions qu’il peut être nécessaire ou utile de prendre pour l’expédition des affaires de la Cour, notamment à l’égard de l’affectation de juges à l’expédition de ces affaires, doivent être prises par le juge en chef.

8 (1) Les juges en chef de la Cour d’appel fédérale, de la Cour fédérale, de la Cour d’appel de la cour martiale et de la Cour canadienne de l’impôt ont autorité sur tout ce qui touche les fonctions judiciaires de leur tribunal respectif, notamment la direction et la surveillance des séances et l’assignation de fonctions aux juges.

(2) Font partie de ces attributions les pouvoirs suivants :

a) fixer les séances du tribunal;

b) affecter des juges aux séances;

c) assigner des causes et d’autres fonctions judiciaires à chacun des juges;

d) fixer le calendrier des sessions et les lieux où chaque juge doit siéger;

e) déterminer la charge annuelle, mensuelle et hebdomadaire totale de travail de chacun des juges;

f) préparer les rôles et affecter les salles d’audience.

[117]     La majorité de la Cour d’appel fédérale conclut :

[23] Comme le souligne la Cour suprême, la règle générale veut que le juge qui est saisi d’une affaire soit le seul à pouvoir en connaître jusqu’au bout. À mon avis, si le législateur voulait modifier cette règle pour accorder au juge en chef le pouvoir de dessaisir un juge d’une affaire dont il est saisi, il faudrait un libellé traduisant clairement une telle intention. Le pouvoir d’affecter ou de réaffecter des affaires avant le début d’une audience continuerait de s’appliquer. Cependant, les pouvoirs énoncés dans la Loi sur le Service administratif des tribunaux judiciaires et la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt n’habilitent pas le juge en chef à dessaisir unilatéralement un juge saisi d’une affaire, et ce malgré l’application de la Loi d’interprétation.

[Soulignements du Tribunal]

[118]     Les arrêts de la Cour suprême auxquelles réfère la majorité sont les affaires R. c. MacDougall, 1998 CanLII 763 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 45 et R. c. Gallant, 1998 CanLII 764 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 80. Celles-ci portent sur le devoir du ministère public d’assurer le respect du droit de l’inculpé d’être jugé dans un délai raisonnable alors que le juge saisi de l’affaire a des ennuis de santé. Bien qu’utiles au niveau des principes, ils n’éclairent pas le Tribunal quant aux pouvoirs d’un président de tribunal administratif de dessaisir un décideur en délibéré pour des raisons de célérité.

[119]     Il est utile de rappeler que la règle du stare decisis ne s’applique pas en l’instance à une décision de la Cour d’appel fédérale[112] puisque cette dernière n’est pas susceptible d’être saisie d’un appel du présent Tribunal et que la présente décision interprète une autre législation dans un contexte différent. Il n’en demeure pas moins que les conclusions de la majorité, sans lier le Tribunal, doivent être considérées avec attention. Néanmoins, et cela dit avec beaucoup d’égards, elles n’emportent pas l’adhésion du Tribunal pour les raisons suivantes.

[120]     D’abord, les législations qui accordent les pouvoirs du juge en chef de la Cour canadienne de l’impôt sont moins explicites que les textes analysés en l’instance. En effet, il n’est jamais fait mention que le juge en chef doit prendre les mesures visant à favoriser la célérité du processus décisionnel, tel que le prévoit l’article 115.7 (1) 2° C. prof.

[121]     Ensuite, l’analyse de l’ensemble du contexte menant à l’amendement du Code et de l’environnement législatif, tel qu’explicité auparavant, permet de distinguer la présente affaire de l’arrêt High Crest. D’ailleurs, l’analyse contextuelle du Tribunal rejoint d’une certaine manière, celle du juge Stratas, dissident dans cette affaire.

[122]     Ce dernier conclut que le pouvoir du juge en chef d’affecter un juge à une affaire inclut le pouvoir de réaffecter cette affaire à un autre juge. Il propose une analyse contextuelle des textes et mentionne que le juge en chef doit s‘assurer que le tribunal remplisse sa mission, soit « dispenser la justice avec intégrité, équité et efficacité afin d’améliorer la réputation de l’administration de la justice et gagner la confiance du public »[113].

[123]     Enfin, dans cette affaire, il s'agissait d'un tribunal judiciaire, soit la Cour canadienne de l'impôt, instaurée en Cour supérieure d'archives suivant l'article 3 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt[114], dont les décisions peuvent faire l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale[115]. En l’instance, il s'agit d'un décideur appartenant à un tribunal administratif, ce qui implique qu'une plus grande souplesse est de mise en matière d'indépendance judiciaire[116] ainsi qu’une plus grande retenue quant à l’interprétation donnée à la disposition en cause, laquelle fait l’objet d’un contrôle judiciaire et non d’un appel.

[124]     Pour ces raisons, l’interprétation donnée par la majorité de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire High-Crest ne modifie pas la conclusion du Tribunal en l’instance.

vii. L’Indépendance judiciaire

[125]     Perreault fait valoir que d’interpréter le Code des professions comme donnant le pouvoir à la présidente en chef de dessaisir un président de conseil contreviendrait à l’indépendance des décideurs.

[126]     Le Tribunal rejette cette prétention.

[127]     L’indépendance judiciaire des instances administratives a été reconnue par la Cour suprême[117]. Elle est protégée à l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne[118] et le Code de déontologie applicable aux membres des conseils de discipline des ordres professionnels[119] qui édicte :

1. Le présent code a pour objet d’énoncer les règles de conduite et les devoirs des membres des conseils de discipline des ordres professionnels en vue de soutenir la confiance du public dans l’exercice impartial et indépendant de leurs fonctions.

[…]

11. Le membre préserve l’intégrité des fonctions qu’il occupe et en défend l’indépendance dans l’intérêt supérieur de la justice

[Soulignements du Tribunal]

[128]     Le test applicable en matière d’indépendance consiste à déterminer si le tribunal administratif peut raisonnablement être perçu comme indépendant par un observateur bien renseigné qui analyse tous les éléments pertinents[120]. Dans les matières administratives, le test s’applique avec « souplesse, d’une façon qui tienne compte de la nature du tribunal et de l’ensemble des circonstances »[121].

[129]     Au regard de cette souplesse et en tenant compte de l’ensemble de contexte déjà exposé, le Tribunal conclut qu’une personne raisonnable et informée arriverait à la conclusion qu’en soi, l’existence du pouvoir pour la présidente en chef de dessaisir un président de conseil en délibéré n’entraîne pas une violation de l’indépendance des décideurs.

[130]     Cette conclusion s’appuie sur le fait que plusieurs lois prévoient explicitement que les décideurs administratifs peuvent se voir dessaisis par le président de leur tribunal administratif pour un manque de célérité[122], tout comme les juges peuvent être dessaisies par leur juge en chef lorsque le délai de délibéré n’est pas respecté[123]. Ainsi, en l’absence de précédents qui concluent qu’une telle situation viole le principe d’indépendance judiciaire, le Tribunal considère que cet état de fait supporte son interprétation.

[131]     Par ailleurs, le Tribunal conclut que cette interprétation repose sur le Code des professions alors qu’une demande cherchant une déclaration d’invalidité de l’art. 115.7 (1) 2 C. prof. n’a été présentée.

[132]     Le Tribunal ajoute que c’est plutôt dans l’exercice du pouvoir de dessaisissement que la présidente en chef devra s’assurer de respecter l’indépendance judiciaire. En effet, elle ne peut l’exercer de façon déraisonnable et arbitraire.

[133]     À l’évidence puisqu’il s’agit d’un pouvoir qui contrevient au principe général voulant que le décideur saisi d’une affaire procède à l’audition et rende la décision, la présidente en chef devra agir avec beaucoup de circonspection avant d’exercer ce pouvoir, en considérant l’intérêt des parties et celui de l’administration de la justice.

[134]      Comme le souligne la Cour suprême dans Entreprises Sibeca inc. c. Frelighsburg (Municipalité)[124]:

21. […] il n’y a rien de tel qu’une « discrétion » absolue et sans entraves, c’est-à-dire celle où l’administrateur pourrait agir pour n’importe quel motif ou pour toute raison qui se présenterait à son esprit; une loi ne peut, si elle ne l’exprime expressément, s’interpréter comme ayant voulu conférer un pouvoir arbitraire illimité pouvant être exercé dans n’importe quel but, si fantaisiste et hors de propos soit-il, sans avoir égard à la nature ou au but de cette loi.  […] La «discrétion» implique nécessairement la bonne foi dans l’exercice d’un devoir public.  Une loi doit toujours s’entendre comme s’appliquant dans une certaine optique, et tout écart manifeste de sa ligne ou de son objet est tout aussi répréhensible que la fraude ou la corruption.

[135]     Le Tribunal rappelle que Perreault choisit de n’attaquer que l’existence du pouvoir de la présidente en chef. Elle ne plaide pas subsidiairement que si celui-ci existe, il a été exercé de façon déraisonnable, si ce n’est que sur la question de la violation de l’équité procédurale des parties en cause dans les dossiers qui lui ont été retirés par la Décision.

2.3.4     L’équité procédurale

[136]     Perreault soutient que les règles de justice naturelle ont été violées car les parties impliquées dans les dossiers dessaisis n’ont pas été consultées par la présidente en chef avant de rendre sa Décision. Elle plaide que cette violation impose la nullité de la Décision[125].

[137]     Elle ne prétend pas que son droit d’être entendue n’a pas été respecté. Tel que mentionné précédemment, Corriveau lui a donné l’opportunité de faire valoir son point de vue avant de rendre sa Décision[126] et a tenu compte de ses commentaires[127].

[138]     Perreault plaide donc pour autrui lorsqu’elle prétend à la violation des règles de justice naturelle des parties en cause. Le Tribunal rejette donc l’argument au motif que Perreault n’a pas l’intérêt requis pour le faire valoir.

[139]     De plus, soulignons au passage que ces parties, informées par Corriveau de la Décision, ont été consultées quant aux suites à donner à leur dossier. Or, selon la preuve présentée, les parties ne formulent aucune plainte concernant le dessaisissement. Ces parties sont mises en cause en l’instance et aucune ne s’est manifestée pour prétendre devant le Tribunal à une violation de leurs droits[128].

3.            LES CONCLUSIONS

[140]     Le Tribunal se trouve saisi d’un des rares cas de contestation du pouvoir d’un président de tribunal administratif de dessaisir l’un des décideurs administratifs d’une affaire qu’il a entendue et pour laquelle il est en délibéré. Le principe général veut que ce décideur rende la décision.

[141]     Toutefois, il arrive qu’exceptionnellement ce principe doive céder le pas pour assurer, d’une part, la célérité du processus décisionnel, qui est au cœur de l’accessibilité à la justice et, d’autre part, le respect des règles de justice naturelle.

[142]     En l’espèce, bien que le Code des professions ne prévoit pas explicitement le pouvoir de dessaisissement par la présidente en chef à l’égard des présidents de conseil de discipline, il édicte que cette dernière a pour fonction de prendre les mesures visant à favoriser la célérité du processus décisionnel.

[143]     Au regard des termes de l’ensemble des dispositions du Code des professions, de son objet premier qui est d’assurer la protection du public alors que la célérité du processus décisionnel est l’un des moyens d’atteindre cet objectif, de l’intention de législateur qui est d’assurer que les décisions soient rendues rapidement notamment par la création du poste de présidente en chef ainsi que du contexte global selon lequel le prolongement des délais mine la confiance du public envers le système judiciaire, le Tribunal arrive à la conclusion que la présidente en chef a le pouvoir de dessaisir un président de conseil dans le but d’assurer la célérité du processus décisionnel.

[144]     Ce pouvoir doit être exercé dans le respect de l’indépendance des décideurs administratifs. Il doit être utilisé avec beaucoup de circonspection, de façon raisonnable en considérant l’intérêt des parties et de l’administration de la justice.

[145]     Le Tribunal conclut que la Décision de Corriveau se base sur une interprétation de l’art. 115.7 (1) C. prof. qui est non seulement raisonnable, mais également correcte. En effet, l’analyse faite dans un esprit de déférence, révèle qu’il n’y a pas d’autre issue possible.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[146]     REJETTE la demande en jugement déclaratoire et en révision de la Décision du 5 avril 2019 de la défenderesse;

[147]     LE TOUT avec frais de justice.

 

 

__________________________________judith harvie, j.c.s.

Me Julius H. Grey

Me Isabelle Turgeon

Grey & Casgrain s.e.n.c.

Avocats de Chantal Perreault

Me Marc Simard

Me Pierre-Alexandre Boucher

Bélanger, Sauvé SENCRL

Avocats de Marie-Josée Corriveau

 

Me Alexandre Racine

Avocat du Mis en cause Claude Maurer

Michel Chagnon

Mis en cause non représenté

Me Marie Cossette

Norton Rose Fulbright Canada

Avocate du Mis en cause André Prud’homme

 

 

Me Marie-France Décary

Clyde & Cie Canada

Avocate du Mis en cause Jasmin Martel

Me Jacques Prévost Pouliot

Pouliot, Caron, Prevost, Belisle, Galarneau

Avocat du Mis en cause Steven Lapointe

Me Sébastien Pierre-Roy/Me Davina Bastarache

Chenette, Boutique de litige inc.

Avocats du Mis en cause Christian Lalancette

Me Caroline Thibault-Gervais

Chambre des notaires (actuellement Ministère de la Justice)

Avocate des Mis en cause Benoit Caron et Maryse Laliberté

Me Jean-Claude Dubé

Jean-Claude Dubé, Avocats, S.A.

Avocat du Mis en cause Pierre Tétrault

Maggie Landry

Mise en cause non représentée

 

Me Sylvie Champagne

Avocate de l’intervenante Barreau du Québec

 

 

Date d’audience :

19 août 2019

 


ANNEXE

 

Code des professions

23.     Chaque ordre a pour principale fonction d’assurer la protection du public.

         À cette fin, il doit notamment contrôler l’exercice de la profession par ses membres.

115.7.  Le président en chef est chargé de l’administration et de la direction générale du Bureau. Il a notamment pour fonctions:

1.   de favoriser la participation des présidents de conseil de discipline à l’élaboration d’orientations générales en vue de maintenir un niveau élevé de qualité et de cohérence des décisions;

2.   de prendre les mesures visant à favoriser la célérité du traitement de la plainte et du processus décisionnel;

3.   de consulter les ordres professionnels pour évaluer leurs besoins particuliers;

4.   de coordonner et de répartir le travail des présidents qui, à cet égard, doivent se soumettre à ses ordres et directives;

5.   de veiller au respect de la déontologie par les présidents;

6.   de promouvoir le perfectionnement des présidents quant à l’exercice de leurs fonctions, notamment par des formations en lien avec les actes dérogatoires visés à l’article 59.1 et avec ceux de même nature prévus au code de déontologie des membres d’un ordre professionnel;

7.   d’évaluer périodiquement les connaissances et les habiletés des présidents dans l’exercice de leurs fonctions ainsi que leur contribution à l’atteinte des objectifs visés par la présente section.

115.8.  Le président en chef présente annuellement au ministre un plan dans lequel il expose ses objectifs de gestion pour assurer la qualité et la célérité du traitement de la plainte et du processus décisionnel et fait état des résultats obtenus dans l’année antérieure.

Il y indique également, outre ceux qui lui sont demandés par le ministre, les renseignements suivants, qu’il compile pour chaque conseil de discipline sur une base mensuelle:

1.   Le nombre de jours où des audiences ont été tenues et le nombre d’heures qui y ont été consacrées en moyenne;

2.   le nombre de remises accordées;

3.   la nature des plaintes à l’égard desquelles une conférence de gestion a été tenue, ainsi que leur nombre;

4.   la nature des plaintes et requêtes entendues, leur nombre ainsi que les endroits et les dates où elles ont été entendues;

5.   la nature des plaintes et requêtes prises en délibéré, leur nombre ainsi que le temps consacré aux délibérés;

6.   la nature et le nombre de décisions rendues;

7.  la nature et le nombre de décisions portées en appel;

8.  le temps consacré aux instances à partir de la réception de la plainte ou de la requête jusqu’au début de l’audience ou jusqu’à ce que la décision sur la culpabilité et, le cas échéant, sur la sanction soit rendue.

138.     Un conseil de discipline siège en division au nombre de trois membres, dont le président désigné par le président en chef. Le secrétaire du conseil de discipline choisit dans les plus brefs délais, parmi les membres du conseil nommés par le Conseil d’administration, les deux autres membres qui siégeront avec le président.

Dans la répartition du travail des présidents, le président en chef peut tenir compte des connaissances et de l’expérience spécifique de ces derniers, du nombre de plaintes dont ils sont saisis ainsi que des besoins particuliers de certains ordres professionnels.

139.     Le président en chef, en collaboration avec le président du conseil de discipline et le secrétaire du conseil, doit s’assurer que l’audience débute dans un délai raisonnable. À moins de circonstances particulières, celle-ci doit débuter dans les 120 jours de la signification de la plainte.

Avis d’au moins trois jours francs de la date et du lieu d’audience doit être donné à l’intimé et à son procureur, le cas échéant, par le secrétaire du conseil de discipline. Cet avis est signifié conformément au Code de procédure civile (chapitre C-25.01).

150.     Après déclaration de culpabilité, les parties peuvent se faire entendre au sujet de la sanction.

Si l’une des parties est absente lorsque le conseil déclare l’intimé coupable, le secrétaire lui signifie un avis de cette déclaration conformément au Code de procédure civile (chapitre C25.01).

Le conseil impose la sanction dans les 60 jours qui suivent la déclaration de culpabilité.

154.1.  Le conseil de discipline rend sa décision dans les 90 jours de la prise en délibéré.

118.2.  Les membres du conseil demeurent en fonction, à l’expiration de leur mandat, jusqu’à ce qu’ils soient nommés de nouveau ou remplacés par le gouvernement ou le Conseil d’administration, selon le cas.

118.4.  Lorsqu’un membre est remplacé conformément à l’article 118.2, l’instruction peut être poursuivie et une décision sur la culpabilité et une décision sur la sanction validement rendue par les deux autres membres, pourvu que l’un d’eux soit le président.

Un président qui est remplacé peut toutefois continuer à instruire une plainte quelle que soit l’étape de l’audience où elle est rendue, avec l’autorisation du président en chef et pour la durée que celui-ci détermine.

Lorsque la décision n’est pas rendue dans le délai déterminé par le président en chef, celui-ci peut, d’office ou sur demande de l’une des parties, prolonger ce délai ou dessaisir le président de l’instruction de la plainte. La demande est déposée auprès du secrétaire du conseil de discipline concerné. Elle doit être signifiée conformément au Code de procédure civile (chapitre C-25.01) au président en chef et aux membres du conseil qui sont saisis de la plainte, ainsi qu’aux parties. Avant de prolonger le délai ou de dessaisir le président, le président en chef doit tenir compte des circonstances et de l’intérêt des parties.

118.5.  Lorsqu’un président est destitué, est démis, est suspendu, est dessaisi de l’instruction d’une plainte, est empêché d’agir ou lorsqu’à la fin de son mandat il décide de ne pas poursuivre l’instruction d’une plainte, le président en chef doit, dans les plus brefs délais, désigner un nouveau président pour l’instruction de cette plainte, quelle que soit l’étape de l’audience où elle est rendue.

 

 



[1]    Code des professions, art. 116.

[2]    Id., art. 115.3.

[3]    Id., art. 117.

[4]    Id., art. 138.

[5]    Id., art. 116 à 120.2 et 126 à 161.1.

[6]    Id., art. 116 (2).

[7]    Id., art. 115.1 et 115.7.

[8]    L’utilisation des seuls noms de famille dans le présent jugement a pour but d’alléger le texte et l’on voudra bien n’y voir aucune discourtoisie à l’égard des personnes concernées.

[9]    Id., art. 115.2.

[10]    Id., art. 154.1.

[11]    Id., art. 150.

[12]    Pièce P-5.

[13]    Déclaration assermentée de Perreault du 23 mai 2019, paragr. 17.

[14]    Id., paragr. 18.

[15]    Déclaration assermentée de Corriveau, datée du 29 avril 2019, paragr. 4 et annexe F.

[16]    Préc., note 14, paragr. 19.

[17]    Id., Pièce P-6 et annexe F.

[18]    Annexe F.

[19]    Annexe G.

[20]    Id.

[21]    Annexe H.

[22]    Annexe J.

[23]    Annexe K.

[24]    Annexe L.

[25]    Annexe M.

[26]    Annexe N.

[27]    Déclaration assermentée de Perreault datée du 26 avril 2019, paragr. 10.

[28]    Déclaration assermentée de Corriveau datée du 29 avril 2019, paragr. 13-17.

[29]    Déclaration assermentée de Corriveau datée du 4 juin 2019, paragr. 3.

[30]    Id.

[31]    Id., paragr. 4.

[32]    Préc., note 19.

[33]    Préc., note 29, paragr. 5.

[34]    Préc., note 1, art. 115.7 (1) 2.

[35]    Demande introductive d’instance, conclusions, p. 11.

[36]    Id.

[37]    Id.

[38]    Voir à ce sujet : Transport en commun La Québécoise inc. c. Réseau de transport métropolitain, 2019 QCCA 752.

[40]   Ewert c. Canada, 2018 CSC 30, paragr. 88. Voir également les motifs de la dissidence à ce sujet au paragr. 127 qui met en garde contre une telle façon de procéder : « Les conséquences d’un tel contournement sous forme de jugement déclaratoire sont importantes. Les décideurs administratifs n’auraient pas droit à la déférence qui leur est normalement accordée. Il pourrait s’ensuivre une immixtion injustifiée dans l’exercice de fonctions administratives en certaines matières déterminées par le législateur’ : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 27 ».

[41]   El-Alloul c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCA 1611, paragr. 47. Voir aussi, par analogie, Cyr c. Société de l'assurance automobile du Québec, 2006 QCCA 932, paragr. 94 à 96, confirmée pour d’autres motifs, Société de l’assurance automobile du Québec c. Cyr, 2018 CSC 13.

[42]   El-Alloul c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCA 1611, paragr. 47.

[44]   Id., paragr. 34.

[45]   2011 CSC 61. Voir au même effet : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, paragr. 28-41; El-Alloul c. Procureure générale du Québec, 2018 QCCA 1611, paragr. 61.

[46]   2013 CSC 36, paragr. 49-50.

[48]   Pour la bonne vie des enfants c. Procureure générale du Québec, 2019 QCCA 1200, paragr. 4.

[49]    Préc., note 1, art. 150 et 154.1. 

[50]    Id., art. 138.; voir également art. 115.7 (1) 4°.

[51]    Id., art. 118.4.

[52]    Id., art. 118.4.

[53]    Id., art. 118.5.

[54]    Id., art. 115.7 (1) 2°.

[55]    Id., art. 115.8.

[56]    Id., art. 115.8 (2) 5° et 8°.

[58]    2012 CSC 12, paragr. 45-58. Voir également : École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12; Law Society of British Columbia c. Trinity Western University, 2018 CSC 32.

[59]   Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, paragr. 55 et 60; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. University of Calgary, 2016 CSC 53, paragr. 19 et 20.

[60]   Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61, paragr. 30 et 34

[61]   Préc., note 1, art. 118.5.

[62]    Art. 324 C.p.c.

[63]    Voir à ce sujet l’affaire R. c. MacDougall, 1998 CanLII 763 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 45, au paragr. 51 et R. c. Gallant, 1998 CanLII 764 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 80, au paragr. 14; SITBA c. Consolidated‑Bathurst Packaging Ltd., 1990 CanLII 132 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 282.

[64]    Charte des droits et libertés de la personne, préc.,  note 57, art. 23.

[65]    Voir, à titre d’exemple, l’al. 324 (4) C.p.c.qui édicte : « Si le délai de délibéré n’est pas respecté, le juge en chef peut, d’office ou sur demande d’une partie, prolonger le délai de délibéré ou dessaisir le juge de l’affaire. » et Adstock (Municipalité d') c. Nadeau, 2006 QCCS 2204; Guillette c. Multico Service d'assurances inc., 2006 QCCS 836; Idrissi Kaïtouni c. Idrissi Kaïtouni, 2006 QCCS 3663; L.P. c. M.D., 2006 QCCS 3757; Paquette c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2010 QCCQ 4810.

[66]    Préc., note 1, art. 138.

[67]    Id., art. 154.

[68]    Id., art. 150.

[69]   Voyer c. Tribunal des professions, 2015 QCCS 4831; Bégin c. Comptables professionnels agréés  (Ordre des), 2019 QCTP 33.

[70]    Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42.

[72]   Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, paragr. 26-30. Voir à ce sujet Thivierge c. Tribunal des professions, 2019 QCCS 3809, paragr. 97, requête pour permission d’en appeler accueillie, 7 novembre 2019, C.A. Qc, no 500-09-028576-197, Bich, j.c.a.

[73] Préc., note 57.

[74]    1989 CanLII 67 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1722, p. 1756.

[76]    Dussault, René et Borgeat, Louis, Traité de droit administratif, 2e éd., tome 1, Québec, PUL, 1984, p. 465.

[77]    Préc., note 1, art. 23; Finney c. Barreau du Québec, 2004 CSC 36, paragr. 16-20.

[78]    Chambre des notaires du Québec c. Dugas, 2002 CanLII 41280 (QC CA), [2003] R.J.Q. 1 (C.A.), paragr. 19.

[79]    Shatner c. Généreux, J.E. 2000-1899 (C.S.), paragr. 39-41.

[81]    Barreau du Québec, Service de la formation continue, Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire (2014), volume 384, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014.

[82]    Voir à ce sujet : Gamache c. Médecins vétérinaires (Ordre professionnel des), 2011 QCTP 145; Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Gauthier, 2012 QCTP 78; Lamarche c. Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des), 2013 QCTP 62; Girouard c. Infirmières et infirmiers auxiliaire (Ordre professionnel des), 2013 QCTP 67.

[83]   M.-C. Simard, préc., note 81, p. 63-64.

[84]   Extraits des propos du ministre de la Justice lors de l’étude détaillée du projet de loi numéro 17, Journal des débats de la Commission Permanente des institutions, 40e législature, première session, mercredi 8 mai 2013, Vol. 43, N°49.

[85]   Finney c. Barreau du Québec, 2004 CSC 36, paragr. 44.

[86]   2006 CSC 48, paragr. 33-39.

[87]   Normandin c. De Barros, 2018 QCCA 817.

[88]   Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, paragr. 2, 24 et 25.

[89]  Disposition préliminaire, C.p.c. Voir notamment : Lavigne c. 6040993 Canada inc., 2016 QCCA 1755.

[90]   Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 307; Lamarche c. Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des), 2013 QCTP 62 référant au paragr. 26 à l’arrêt Ptack c. Comité de l'Ordre des dentistes du Québec, 1992 CanLII 3303 (QC CA), [1993] R.L. 305 (C.A.Q).

[91]   2016 CSC 27, paragr. 26-28.

[93]   Préc., note 80.

[94]    Côté, Pierre-André, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2009, paragr. 1047.

[95]    Préc., note 1, art. 150 et 154.1.

[96]    M.-C. Simard,  préc., note 81, p. 51.

[98]    Préc., note 82.

[99]   Préc., note 1, art. 115.7 (1) 4.

[101] Préc., note 97.

[102] Préc., note 1, art. 115.11.

[103] À titre d’exemple, voir Proulx c. Gagnon, 2016 QCCJA 832, concernant les délais de délibéré d’un décideur administratif du Tribunal Administratif du Québec.

[105] Art. 324 C.p.c. Voir à titre d’exemple : Adstock (Municipalité d') c. Nadeau, 2006 QCCS 2204; Guillette c. Multico Service d'assurances inc., 2006 QCCS 836; Idrissi Kaïtouni c. Idrissi Kaïtouni, 2006 QCCS 3663; L.P. c. M.D., 2006 QCCS 3757; Paquette c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2010 QCCQ 4810.

[106] P.A. Côté, préc., note 94, paragr. 1252. Voir à ce sujet, par exemple Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), 1989 CanLII 67 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1722, p. 1756 dans laquelle la Cour souligne au sujet d’un pouvoir implicite d’une instance administrative : « Le fait que ce pouvoir soit prévu explicitement dans d’autres lois ne saurait changer cette conclusion fondée sur l’interprétation de ces deux lois dans leur ensemble ». 

[108] P.A. Côté, supra, note 94, paragr. 1283.

[112] Tuccaro c. Canada, 2014 CAF 184, par. 18, décrit la règle du stare decisis comme « cette doctrine suivant laquelle une juridiction inférieure est liée par les conclusions de droit particulières tirées par une juridiction supérieure susceptible d’être saisie, directement ou indirectement, de l’appel de ses décisions ». Voir aussi Wolf c. La Reine, 1974 CanLII 161 (CSC), [1975] 2 R.C.S. 107, à la p. 109.

[113] High-Crest Enterprises Limited c. Canada, 2017 CAF 88, paragr. 67.

[114] Préc., note 110.

[116] 2747-3174 Québec inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), 1996 CanLII 153 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 919.

[117]    Id., paragr. 62.

[118]    Préc., note 57.

[119]    Préc., note 97.

[120]    Valente c. R., 1985 CanLII 25 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 673 et 2747-3174 Québec inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), préc., note 116, p. 962.

[121]    2747-3174 Québec inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool) préc., note 116,paragr. 62.

[122]    Préc., note 104.

[123]    Art. 324 C.p.c.

[125]    Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, 1985 CanLII 23 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 643; Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, 1993 CanLII 162 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 471.

[126]    Préc., note 19.

[127]    Décision, préc., note 21, paragr. 16.

[128]    Dans l’affaire High Crest, préc., note 109, aux paragr. 102-103, le juge Stratas dissident, mais seul à se prononcer sur cet aspect, indique que l’inaction des parties pour soulever en temps opportun l’équité procédurale peut entraîner qu’elles seront réputées avoir renoncé à soulever cet argument.